Après le rapport de la Cour des comptes, les diamants éternels de la dépense locale – Jean-Luc Boeuf
25 septembre 2013 | 0 commentaire
« Wall Street ». Le poids relatif de la dette publique locale dans le Produit intérieur brut n’a cessé de diminuer depuis 1982. Ce rappel est en apparence une bonne nouvelle. Il est lié au fait que, pendant près de trente ans, soit de 1982 à la fin des années 2000, les collectivités ont privilégié le recours à la fiscalité pour financer leurs dépenses. Dans le même temps, les collectivités ont bénéficié de généreuses augmentations, annuelles, des dotations en provenance de l’Etat. La mise en perspective nous montre que, en montant global, la dette publique locale augmente bel et bien depuis plusieurs années. Et ceci n’est pas une bonne nouvelle. Car soyons clairs ! Le faible endettement des collectivités locales n’a été obtenu dans les années 1990 et 2000 qu’en faisant financer au contribuable présent des dépenses destinées à être utilisées dans le futur. Et l’augmentation actuelle de l’endettement des collectivités locales est continue depuis 2008 (cf. Atlantico – Comment la Décentralsiation est en train de tuer la France / Jean-Luc Boeuf & Philippe Lau)
« Margin call ». Le déficit des « administrations publiques locales « (APUL) pointé par la Cour des comptes renferme une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que le déficit des administrations publiques locales est faible au regard du montant cumulé des budgets des communes, intercommunalités, départements et régions, à un peu plus de 1%. La mauvaise nouvelle, c’est que le budget des collectivités doit être construit à l’équilibre. C’est la loi qui l’impose. Or l’emprunt local contribue à l’équilibre des budgets. Donc, si l’on constate un déficit d’ensemble, c’est que des recettes attendues ne se sont pas réalisées et que, surtout, des dépenses non initialement prévues ont été réalisées ou ont augmenté. La crise est en partie responsable puisque le phénomène de « ciseaux » joue à plein, avec des dépenses sociales qui augmentent largement plus vite que les recettes. Mais la crise n’explique pas tout ! Il appartient à chaque collectivité de réduire ses dépenses non essentielles (cf. Atlantico – Rapport de la Cour des Comptes – Décentralisation et Collectivités locales / Jean-Luc Boeuf)
« Les diamants sont éternels ». Il convient de porter son regard sur les dépenses de chaque niveau de collectivité locale. Dans les communes, les dépenses de personnel représentent plus de la moitié des dépenses de fonctionnement. Ces dépenses sont anciennes et il en était déjà ainsi en 1982 ! En revanche, les dépenses intercommunales ont explosé. Ceci est dû à une montée en puissance très rapide, avec la mise en place des 2600 communautés de communes et 200 communautés d’agglomération qui n’a pas été accompagné d’une rationalisation des dépenses de personnel. Pour ce qui est des départements et des régions, la très forte évolution des dépenses de personnel est liée aux transferts de compétences massifs opérés de l’Etat vers les conseils généraux et régionaux. A la question, l’Etat a-t-il transféré tous les personnels d’encadrement nécessaire à l’exercice des compétences transférées, la réponse est « non », quels que soient les gouvernements ! A la question, les départements et régions ont-ils créé plus de postes que les strictes conséquences des transferts, la réponse est en revanche « oui ». De sorte que chaque camp politique peut, au gré des alternances, se renvoyer la balle. Une chose est sure : la décentralisation coûte cher en personnel !
« 1000 milliards de dollars ». La responsabilité de l’Etat dans cette explosion des dépenses provient tout d’abord des dotations de fonctionnement très généreuses à la mise en place desdites intercommunalités au début des années 2000. En effet, les élus, voyant qu’ils disposaient des recettes, n’ont pas hésité à appuyer sur l’accélérateur des dépenses de personnel ! Ensuite, la responsabilité de l’Etat est très forte lorsqu’il demande – ou plutôt exige – des collectivités de participer aux dépenses d’investissement sur des champs de compétences qui sont ceux de l’Etat et non pas des collectivités locales. L’exemple emblématique est celui des contrats de plan et de projets depuis 1984. Le système tourne donc à l’absurde lorsque, le matin, l’Etat donne aux collectivités les moyens de créer des dépenses de personnel ; puis à midi l’Etat dit aux collectivités : « stop, il faut que vous participiez à l’effort de redressement national » ; enfin le soir, il tend la sébille pour se faire financer ses projets… Seuls de grands élus se sont opposés en leur temps à la « logique » des contrats de plan. Par exemple, Olivier Guichard alors président des Pays de la Loire fut très peu réceptif aux sirènes des contrats de plan. Pour ce qui est du désengagement de l’Etat, il est permanent et continu si bien que, en 2012, l’Etat investit chaque année quatre fois moins en euros constants qu’en 1984.
« Wall street 2 ». Pour les deux exercices budgétaires 2013 et 2014, l’Etat a annoncé que l’effort demandé aux collectivités territoriales serait de 1,5 milliard d’euros chaque année. Ce chiffre est à mettre en perspective d’une part avec le montant cumulé des budgets des collectivités territoriales et d’autre part avec l’augmentation « naturelle » des recettes des collectivités locales. Donc, d’un côté, on « retire » 1,5 milliard puis 3 milliards sur 2 ans en recettes de fonctionnement. De l’autre, les recettes de la taxe qui a succédé à la taxe professionnelle (la CFE et la CVAE en langage technocratique…) ont augmenté plutôt généreusement pour 2012, largement plus en tout cas que la diminution annoncée des dotations de fonctionnement. Mais, naturellement, les associations n’ont pas « réagi » devant cette variation généreuse… Objectivité quand tu nous tiens ! En réalité, l’Etat ne dispose pas de moyens autoritaires pour contrôler à l’entrée les dépenses des collectivités. Liberté locale oblige ! Pour le dire autrement, l’Etat et les collectivités dorment dans le même lit mais ne font pas les mêmes rêves. Aucune collectivité n’accepte en effet de participer à l’effort de redressement national. Chaque niveau s’estime plus « légitime » que le voisin et, surtout, plus en difficulté. En définitive, n’est-ce pas le pacte national qui pose difficulté ? Mais l’on déborde largement du thème des finances locales. On le voit bien avec la question de la péréquation avec laquelle tout le monde est d’accord sur le principe qui consiste « prendre à ceux qui ont pour redistribuer un peu à ceux qui ont moins ». Mais quant à passer aux travaux pratiques, le rubicon se transforme plutôt en falaise infranchissable.