Notre-Dame. Une voix dissonante est-elle possible, sans être jeté aux flammes de la pensée unique ? Car, depuis lundi soir, nous assistons à un déferlement médiatique. Et comme à chaque événement de ce genre, la saturation va jusqu’à la suffocation. La France est à l’arrêt. L’Europe nous plaint. Le monde entier compatit. Les grandes entreprises du CAC 40 se sont lancées dans une surenchère de dons qui ravale les initiatives comme le téléthon au rang de sympathique association de quartier pour ville moyenne déshéritée en manque d’activités le samedi soir. Interrogeons-nous sur la restauration de Notre-Dame de Paris alors que la démesure s’est invitée sur l’autel de la compassion.
Je n’ai rond ! dit l’Etat alors que Notre-Dame brûle. Rappelons simplement qu’une cathédrale est la propriété de l’Etat. Je n’ai rond comme il répète à satiété, regardant Notre-Dame brûler…Toutefois, le rappel de la règle simple selon laquelle « l’Etat est son propre assureur » éviterait les critiques racoleuses du style : « Et, en plus, Notre-Dame n’était pas assurée ». L’interrogation sur la responsabilité d’un tel sinistre en serait presque risible si elle n’était pas révélatrice de cette propension à laisser parfois de côté les choses simples.
Brico dépôt (d’argent) et Mr Bricolage. Ensuite, il ne manque pas de saveur de comparer, d’une part, l’extrême difficulté pour l’Etat à mobiliser deux millions d’euros par an pour l’entretien de la cathédrale et, d’autre part, le milliard – chiffre o combien symbolique – promis en 24 heures pour la restauration de Notre-Dame. Si l’Etat appliquait à Notre-Dame la règle du « un euro public pour chaque euro privé », il aurait déjà engouffré en deux jours – pardon inscrit en autorisations de programme pour parler la novlangue de Bercy – plus que ce qu’il met en trois ans pour l’ensemble du patrimoine culturel dans toute la France. Et les autres églises ? Et les autres toits comme le rappelait la fondation Abbé Pierre ? Mais, depuis bien longtemps Quasimodo et Esméralda vivent sans fard et sans abri.
Leroy Merlin, l’enchanteur (de Bercy). Les dons promis par les entreprises ont réveillé l’entrelacs d’une fiscalité nationale, avec ses niches et… ses chiens de garde. Les grandes entreprises ne s’y sont d’ailleurs pas trompées pour certaines, en éteignant dans l’œuf l’incendie potentiel de la déductibilité fiscale. Eh oui, « donnez 100 millions et il ne vous en coûtera « que » 50, 34, 25 ou… 1 ». mais à tout bien réfléchir, en tant que particulier, agissons-nous différemment ? Vite, une loi ! D’ailleurs, le conseil des ministres du 17 avril a été intégralement consacré au sujet. Combien de temps faut-il pour rebâtir le temple détruit ? Dix ans ? Vous n’y pensez pas. Et les JO de 2024 alors ? Ah oui, et les 14 millions de visiteurs annuels, vous en faites quoi ? Bon, chez Leroy Merlin (l’enchanteur), on vous donne cinq ans. Mais faites vite, hein ! Et ne nous ennuyez pas avec les procédures de commande publique, de concours, de marchés publics, de recherche d’artisans et compagnons… Vous savez, ces métiers disparus, dévalorisés depuis des décennies sur l’autel de la performance, de la mondialisation et de la modernité.
Donnez, braves gens et entreprises, le feu couve sous les braises fiscales mais l’État veille. Après tout, si les zélus peuvent constater sur le terrain qu’il faut moins de temps pour reconstruire Notre-Dame que pour réaliser la déviation de 2 kilomètres de Pinpin-les-Oies, ensablée depuis des lustres à cause des gonades du crapaud velu. Bercy beaucoup en ce cas…