Le conseil général va changer de visage… en 2015. Cette fois, c’est sûr proclament les élus de la majorité ! D’autres élus de majorité différente proclamaient exactement la même chose après des mesures adoptées en 1992, avec l’instauration de la « poll tax à la française », c’est-à-dire une partie de l’impôt local assise sur le revenu ; en 1993, avec la loi votée pour élire dès 1998 tous les conseillers généraux le même jour ; en 2000, avec le changement de nom annoncé par la commission Mauroy et en 2010, avec le conseiller territorial, élu appelé à siéger en même temps au conseil général et au conseil régional. Mais le point commun de ces mesures est qu’elles n’ont jamais été mises en application… Arrêtons-nous dès sur trois dates pour faire un point d’ensemble.
1801, une diminution autoritaire du nombre de cantons. Avant le découpage cantonal – déjà… – la France compte 4600 cantons et cette circonscription a connu son heure de gloire durant la Révolution. La réforme administrative de Napoléon ramène leur nombre à 3000. Imaginons dans la France d’alors les rancœurs territoriales des 1.600 déchus… Le nombre de cantons reste particulièrement stable durant plus de 150 ans puisque, en 1966, on en compte environ 3.100. C’est dans les quarante dernières années que leur nombre a fortement évolué, pour dépasser légèrement les 4.000 aujourd’hui.
1986, une décision clé du Conseil constitutionnel. Le contexte est celui de la première cohabitation de la V° République, à la tête de l’exécutif, avec une courte majorité à l’Assemblée Nationale. L’effet « chaudron bouillant » sur les réformes sensibles est particulièrement fort. Un des affrontements majeurs se produit sur le découpage électoral législatif, avec une décision majeure du Conseil constitutionnel qui produit ses effets encore aujourd’hui sur tout découpage électoral, et notamment cantonal. La décision prévoit en effet que « considérant que, quelle que puisse être la pertinence de certaines critiques adressées par les députés auteurs de la première saisine à l’encontre de la délimitation des circonscriptions opérée par la loi, il n’apparaît pas, en l’état du dossier, et compte tenu de la variété et de la complexité des situations locales pouvant donner lieu à des solutions différentes dans le respect de la même règle démographique, que les choix effectués par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles. » En clair, si le législateur respecte « à peu près » les contraintes démographiques, il est tranquille pour effectuer son découpage. A bon entendeur…
2013, en attendant Godot. Le remodelage de la carte cantonale est la conséquence de la loi du 17 mai 2013. Il est bien prévu que le redécoupage « sera précédé, dans chaque département, d’une consultation par le préfet du président du conseil général et des principaux élus du département, afin d’écouter leurs observations et suggestions », ainsi que l’indique une récente réponse à une question parlementaire. Le projet de nouvelle carte « se fera essentiellement sur des bases démographiques » alors que « la réalité des territoires fera également l’objet d’une réelle prise en compte ». Naturellement… Il est également indiqué que « le travail de concertation locale conduit au cours des derniers mois pour rationaliser de façon consensuelle la carte de l’intercommunalité ». Les projets, une fois finalisés, seront « présentés par les préfets devant les conseils généraux qui disposeront alors de six semaines pour rendre un avis ». Avis seulement ! Traduisons : un semblant d’écoute territoriale pour arriver, à peu de choses près, au découpage prévu par le charcutier en chef qu’a toujours été le ministère de l’intérieur, ainsi que les dessins de Plantu l’expliquaient déjà dans le journal Le Monde sous une majorité précédente…
Gardons-nous donc de toute vision « définitive » de cette énième réforme des départements. Car le département a été tant de fois enterré et son organisation tant de fois proposée à la modification qu’une prudence s’impose avant de proclamer qu’il s’agit bien de la vision aboutie de la réforme du département.
Jean-Luc Bœuf