La séquence municipale s’achèvera dans quelques jours lorsque les présidents des structures intercommunales seront élus par les conseillers communautaires, désignés directement les 23 et 30 mars, en vertu du scrutin « fléché ». Dès lors, les regard vont se tourner vers les prochaines échéances électorales locales, à savoir les élections départementales et régionales de mars 2015, en l’absence de changement de règles par le législateur dans les prochains mois. Mais justement, pourquoi ne pas faire un lien entre les intercommunalités et les départements, en ces temps de remise en question de la circonscription créée au début de la Révolution ?
Le découpage cantonal. Le remodelage de la carte cantonale est la conséquence de la loi du 17 mai 2013. Le gouvernement peut être serein quant à l’application de son redécoupage ! Pour des raisons constitutionnelles et des raisons de juridiction administrative. Pour les raisons constitutionnelles tout d’abord, il faut remonter à 1986, dans le contexte de la première cohabitation de la Cinquième République. Un des affrontements majeurs se produit sur le découpage électoral législatif, avec une décision majeure du Conseil constitutionnel qui produit ses effets encore aujourd’hui sur tout découpage électoral. La décision prévoit en effet « qu’il n’apparaît pas… compte tenu de la variété et de la complexité des situations locales … que les choix effectués par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles. » En clair, si le législateur respecte « à peu près » les contraintes démographiques, il est tranquille pour effectuer son découpage. Pour ce qui est des raisons de juridiction administrative, le Conseil d’Etat va s’assurer, lorsqu’il sera saisi au contentieux, qu’il n’y a « pas d’erreur manifeste d’appréciation » selon la formule consacrée. En outre, ayant rendu un avis favorable dans la phase préalable, on voit difficilement comment il pourrait ensuite rejeter en bloc le redécoupage proposé. On peut s’attendre naturellement, ici ou là, à quelques décisions négatives mais qui ne remettront pas en cause la copie d’ensemble du gouvernement. Dans le même temps, le ministère de l’intérieur assure que les redécoupages ont été « présentés par les préfets devant les conseils généraux qui [ont disposé] de six semaines pour rendre un avis ». Mais tout ne va pas aussi bien que les communiqués le laissent penser.
Les difficultés. Une réforme légale n’est pas pour autant légitime. En fait, le risque de cette réforme est de faire croire que l’on peut « piloter » les territoires depuis Paris. En caricaturant, on pourrait presque installer un gigantesque tableau de bord depuis la capitale et contrôler les deux mille et quelques cantons en octroyant aides et subventions… Le vieux rêve du Panoptique en quelque sorte si bien dénoncé par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Concrètement, ce qui pose difficulté aujourd’hui est ce sentiment d’abandon des territoires fragiles par l’Etat. Et cela c’est grave du point de vue de la cohésion nationale. Celles et ceux dont le métier ou la fonction est de sillonner en permanence les territoires vous le diront sans détour : il y a un sentiment d’abandon par l’Etat de ces territoires. Dans ces territoires faiblement peuplés, qui ont déjà perdu leur(s) entreprise(s) petites et moyennes, vu disparaitre quasiment tous les services de l’Etat, subi les restructurations de La Poste, de Pôle emploi, de feu France Télécom et constaté le regroupement des gendarmeries, on leur annonce aujourd’hui la disparition de leur canton, en se gaussant à peine poliment du « caractère inadapté de cette circonscription obsolète ». Il convient de rappeler que le département a été instauré dans une logique de déconcentration des services étatiques, le niveau de base de l’intervention de l’Etat. Et dans nos sociétés ouvertes, désenchantées, désacralisées, le traumatisme dans les territoires est fort. Le besoin de références, de repères est nécessaire. C’est à l’Etat de montrer la voie. Dans le cas contraire, les discours rémanents sur le « renforcement de la cohésion nationale » sont perçus par le citoyen comme du verbiage. Avec les conséquences à venir du côté de l‘électeur. Il en est ainsi également lorsque le pouvoir politique ne propose plus de vision d’avenir mais simplement des mesures techniques.
Que faire ? Soyons audacieux et proposons un vrai renouvellement du département et non une simple réforme de la carte cantonale. Comme le territoire national va être intégralement couvert par l’intercommunalité, faisons du conseil général le « conseil des communautés ». Tout d’abord, l’équilibre démographique serait pris en compte en faisant naturellement siéger plus de représentants des communautés d’agglomération ou communauté urbaines que de représentants des communautés de communes. Ensuite, cette réforme serait économe des deniers publics puisqu’elle ne couterait strictement rien. Elle alignerait de ce fait les mandats puisque, le même jour, seraient désignés pour six ans les conseillers municipaux, les conseillers communautaires et de facto les représentants au conseil général. Par ailleurs, cette réforme est parfaitement compatible avec la montée en puissance des métropoles. N’oublions en effet pas que le « modèle lyonnais » a vu la mise en place d’un type de collectivité territorial sui generis ; à la différence de ce qui est prévu pour Marseille et pour Paris. Enfin, le gain politique au sens noble du terme serait immense puisque les territoires ruraux n’auraient plus ce sentiment d’abandon, puisqu’englobés dans une vision d’ensemble. Cette réforme, en ne divisant pas la société française, proposerait une vision pacifiée des territoires. En ces temps où les discours politiques parlent en permanence de renforcement du pacte républicain, voilà une occasion de rassembler les territoires et non de les diviser.