La modification
Vous vous êtes emparé d’un livre, La modification, ce (nouveau) roman de Michel Butor. Intégralement écrit au « vous », il fait sensation à sa publication, l’année du spoutnik. Ce vouvoiement distancié (de plus d’un mètre littéraire) incite le lecteur à s’identifier pleinement au personnage, à être concerné par les idées qui lui viennent sans cesse. Il faut dire que, ces jours-ci, vous avez le temps de réfléchir à la distanciation et d’être peut-être renvoyé à cette mise en abîme dans vos réflexions at home. Allez, on se bouge toutefois pour se rendre à la Gare de Lyon (Paris) et imaginer prendre le train de nuit pour Roma Termini et rejoindre, peut-être, ses chimères.
Vous vous êtes réveillé(e) tout ébaubi que le triangle de Rocquencourt fût encore fluide (version du parigot résigné) à 7h17. Ou que le temps d’attente pour franchir le pont de Pinpin-les-Oies soit passé du jour au lendemain de 4 minutes à 25 secondes (version du provincial impatient). En revanche, votre étonnement a grandi de quelques degrés lorsque vous constatâtes de visu que la vitesse des réseaux (internet) avait ralenti. Vous vous êtes promis d’en parler derechef à votre assistante lorsque vous serez rentré de Rome.
Vous vous êtes demandé comment gérer « en même temps » votre attestation de déplacement dérogatoire (personnelle) à renouveler tous les jours et votre autorisation de déplacement dérogatoire (professionnelle) dûment signée par votre employeur avec un beau tampon. Vous vous êtes égaré un moment quant à la possibilité de présenter une attestation dématérialisée, vous disant que, après tout, en 2020, la bande passante (des réseaux, pas des forces de sécurité intérieure) pouvait permettre un tel usage. Mais vous avez manifestement sous-estimé la capacité de simplification, euh pardon de complexification, de la machine administrative française.
Vous vous êtes organisé. Vous avez toutefois protesté contre certains comportements individuels peu citoyens. En effet, vous aviez cru que l’élan de solidarité concernerait aussi le consommateur moyen. Or, vous avez pu constater que ce dernier, lâché devant les portes de son supermarché, pouvait ressembler à un joueur compulsif à Las Vegas. Il vous a bien fallu déchanter lorsque, le soir venu, vous avez dû vous contenter d’une boite de nouilles chinoises et de pâtes italiennes assaisonnées.