Le Senat et la Republique
Ça s’est passé un 24 février. C’était en 1875. Ce jour-là, avec la loi constitutionnelle portant sur l’organisation du Sénat, le régime républicain s’installe. Suivront deux autres lois constitutionnelles, le 25 février 1875, sur l’organisation des pouvoirs publics, et le 16 juillet 1875, sur les rapports entre les pouvoirs publics. L’origine de la représentation des collectivités territoriales par le Sénat a donc partie liée avec le régime républicain.
Provisoire. En 1875, la France vit dans le régime provisoire, établi depuis 1870 après la chute du Second Empire et la proclamation de la République. Plusieurs lois ont été votées par l’Assemblée nationale, chambre unique élue en 1871, pour organiser les institutions. C’est la seule fois en France qu’un régime républicain n’est pas organisé par une véritable constitution. Le Sénat est la pièce maîtresse du compromis entre monarchistes et républicains, ces derniers s’accommodant d’un exécutif fort. Ils sont favorables à une assemblée unique. Le 24 février 1875, la première des lois constitutionnelles est entièrement consacrée au Sénat. Cela n’est bien sûr pas anodin.
Conservateur. La loi du 25 février 1875 prévoit que les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue des suffrages exprimés et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie, et composé des députés, des conseillers généraux, des conseillers d’arrondissement, des délégués élus par chaque conseil municipal. Le choix du mode de scrutin entraîne de fortes tensions. Il se porte au final sur un système de représentation restreint destiné à faire du Sénat un « rempart conservateur contre les excès démocratiques ». Ainsi, sur un nombre total de trois cents sénateurs, deux cent vingt-cinq sénateurs sont élus dans chaque département par un collège électoral limité et soixante-quinze sénateurs sont élus à vie.
Seigle et châtaigne. La répartition des sièges entre les départements assure en outre une nette prédominance du monde rural sur les villes. Dès lors, la représentation des communes au Sénat sera modifiée par la loi constitutionnelle du 14 août 1884, au détriment des petites communes et afin de davantage tenir compte du poids démographique des plus grandes communes. Quant au principe de l’élection des sénateurs par des élus locaux, il est maintenu. Grand conseil des communes de France ou « représentants du seigle et de la châtaigne » selon Gambetta ? Aujourd’hui, la Constitution de la Cinquième République fait du Sénat le représentant naturel des collectivités territoriales.