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Les trois échecs de la régionalisation – article publié dans Le Monde

11 février 2014 | 0 commentaire

C’est arrivé demain. Depuis que le nombre des régions a été ramené à 10, les TER circulent normalement en tout point des régions ; les formations professionnelles délivrées débouchent sur de l’emploi pérenne et l’apprentissage connaît un essor sans précédent, notamment chez les très jeunes. Si seulement cette politique fiction avant la chance de voir le jour ! Pour en arriver là, encore faudrait-il que les récentes annonces du président de la République sur les régions, relayées immédiatement par des déclarations du premier ministre sur la suppression de certains départements, s’appuient sur un diagnostic sans fard de la réalité de ce que sont devenues les régions aujourd’hui.

Le constat est sévère. Les régions actuelles ont échoué. La régionalisation est un concept qui recouvre trois réalités : la façon de conduire une politique économique, la manière pour l’État de concevoir ses interventions dans les territoires et l’organisation des pouvoirs locaux au niveau d’un territoire régional. En France, les trois éléments se sont succédé : tout d’abord, après la crise de 1929, ce sont des économistes et des intellectuels qui réclament un pouvoir régional qui serait exercé par des chefs d’entreprises. Ensuite, à partir des années 1950, l’État souhaite disposer de relais régionaux et décliner le plan national dans les régions. Il crée les préfets de région après qu’Edgar Faure aura porté les régions sur les fonds baptismaux. Cela donnera les très riches heures de la planification « à la française ». il n’est pas encore question de pouvoir politique régional. Celui-ci viendra au tournant des années 1980, avec la loi du 2 mars 1982, qui propulse les régions au rang de collectivité territoriale de plein exercice, à l’instar des départements et des communes alors que l’intercommunalité n’en bénéficie toujours pas.

Cette régionalisation-là ne fonctionne pas. Pour des raisons politiques, financières et de positionnement. Tout d’abord pour des raisons politiques car les « poids lourds nationaux » ont déserté les conseils régionaux lorsqu’ils ont du se conformer au respect de la législation sur le cumul des mandats. Il arrive même que des conseils régionaux finissent une mandature avec aucun conseiller régional parlementaire. En 1986, année de la première élection au suffrage universel direct des conseillers régionaux, les Olivier Guichard, Gaston Defferre, Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure se portaient candidats. En 2004, quelques noms émergeaient encore tels Ségolène Royal ou Raymond Forni. Mais aujourd’hui, si l’on interroge le citoyen dans la rue, il est le plus souvent incapable de citer le nom de son président de région. Alors qu’il citera sans sourciller son maire.

Ensuite pour des raisons financières car l’envol tant attendu des régions n’a pas eu lieu : songeons que les budgets cumulés des 26 régions sont inférieurs aux budgets cumulés des intercommunalités en 2013 ! Globalement, les régions pèsent quatre fois moins que les communes et deux fois et demie moins que les départements. Comment un président de région peut-il peser face à ses « collègues » des départements ou des agglomérations quand son budget est inférieur aux leurs ? Enfin pour des raisons de positionnement. Dès les années 1980, les régions sont sollicitées à la fois par le « haut », à travers les contrats de plan État-régions (en ne finançant que des compétences de l’État, rappelons-le !) et par le « bas », en cofinançant les politiques des conseils généraux (routes, aménagements…), des intercommunalités (cf. les fameux panneaux où le conseil régional finance 1 % des opérations de renouvellement urbain) et les villes. Ce qu’il y a de dramatique, c’est que les régions ont ainsi obéré, au profit des autres niveaux de collectivité leurs capacités d’intervention. Sur le terrain, les régions n’y ont gagné aucune reconnaissance des autres collectivités locales, étant souvent assimilées à de simples tiroirs-caisses. Et malheur à l’impudent président de conseil régional qui ne cède pas aux exigences de ses « confrères » présidents de conseils régionaux ou maires de grandes villes…

Comment la réforme proposée peut-elle réussir ? Il convient pour cela de s’interroger pour savoir de quelle réforme il est question. S’il s’agit d’une réforme isolée déconnectée des difficultés que rencontrent les territoires, il n’y a pas lieu d’être optimiste. Ce le débat va se focaliser sur le découpage du territoire. Dès lors, les positions sont écrites d’avance et l’échec est au bout de la ligne. Car les actuels présidents de régions n’ont aucune raison de voir leur région disparaître même si 21 d’entre eux sur 22 sont du même bord que le gouvernement ! Ils évoqueront bien sûr qui des arguments qui historiques, qui de la nécessité de « convergence mais pas de regroupement », sous couvert naturellement de « l’intérêt de leurs concitoyens », bien que ces derniers ne les identifient jamais sur les territoires. S’il s’agit d’une réforme d’ensemble, on comprend assez mal pourquoi le gouvernement a scindé au printemps dernier le texte relatif à la décentralisation pour ne traiter que des métropoles, en repoussant à plus tard les autres types de collectivités.

Alors coup politique ou réelle volonté de sortir enfin la France de son millefeuille territorial depuis si longtemps critiqué ? On serait tenté de répondre par la première hypothèse, au vu des échéances électorales passées et à venir. Passées parce que, depuis la Libération, les scrutins électoraux locaux n’ont jamais été vraiment favorables au pouvoir en place, quel qu’il fut, y compris à l’époque du gaullisme triomphant de la Ve République débutante. A venir parce que le positionnement du scrutin régional qui a déjà été repoussé de 2014 à 2015 risquerait bien d’être une fois de plus repoussé pour prendre en compte la réforme. Car l’on voit mal la cohérence qu’il y aurait à élire dans quelques mois des conseillers régionaux appelés à s’autodétruire sous le feu de la réforme.

Jean-Luc Bœuf, article publié dans Le Monde.fr le 7 février 2014

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